MOT DU DIRÉCTEUR GÉNÉRAL

Mesdames et Messieurs

Chers amis du CAFRAD d’Afrique et du Monde

Il y a quelques années, nous faisions ensemble, le choix de reconstruire notre vision, de redéfinir notre stratégie et de repenser nos moyens et  notre But. Nous nous sommes engagés, à redéfinir notre vision, en repositionnant l’institution CAFRAD, à travers, une centralité africaine non exclusive du reste du monde, parce que, de notre point de vue, il ne saurait y avoir, de césure substantielle, entre l’Afrique et le reste du monde.

Nous nous sommes donc, orientés vers une afrocentralité, dans laquelle, la transformation de l’Administration et de la gouvernance administrative en Afrique, doivent premièrement, être pensées, à partir, des prismes endogènes, mais, se garder, cependant, de toute forme d’exclusivisme, qui l’isolerait, des transformations ou dynamiques globales.

Cette prise de position nécessaire, nous aura permis, tout au long de ces années, de réviser de nombreuses certitudes, dont l’expérience a montré les limites. Elle nous a aussi permis, de nous rendre compte, du chemin parcouru, des avancées réelles, de la pertinence et de la lucidité de certains de nos choix, de même que, des écueils ou limites, qu’il nous restent encore à franchir.

En termes de chemin parcouru, en effet, nous avons pu, nous rendre compte, de l’importance autant historique  que symbolique de notre institution. Créée il y a bientôt soixante ans (60ans),  le CAFRAD a parcouru l’ensemble de l’histoire des pays de notre continent. Il en a connu les soubresauts variés, les joies et célébrations légitimes, de même que certaines désillusions.

Il a connu des positionnements aujourd’hui controversés, du fait d’une orientation autrefois uniformisante, dont il a, par ailleurs, eu conscience des limites, mais, qui, du fait des circonstances d’alors et déterminées par l’ère du temps, il a parfois fait le choix pragmatique et raisonnable de l’alignement.

C’était ainsi et ce fut la mode. Comme d’autres, avec lui, il a construit l’histoire de l’Afrique, une partie de cette histoire, fait un temps une partie de l’histoire et écrit son histoire ; Seul quelquefois, mais surtout avec les autres et avec leur concours. Ce fut l’ère des grandes mutations.

Le temps des réformes, allant des aspects cosmétiques de type ‘’africanisation des fonctions publiques’’,  celles des ères axées sur la légitimation participative de type ‘’démocratisant’’,  de ‘’modernisation’’ des réformes axées sur l’efficacité de type ‘’Performance et résultats’’ et désormais celles dites  de ‘’transformatives’’, orientées, vers une révision des paradigmes antérieurs, eux-mêmes, assis sur des ressorts de plus en plus discutables et substantiellement disputés (transformation de la Gouvernance  et partenariat Public-Privé).

Toutes ces mutations, le CAFRAD les a connues et les connaît encore et davantage aujourd’hui. Il en connaît mieux les ressorts et fait le choix de les affronter les uns  et les autres, non plus, dans une forme de  passion répulsive, agitant, parfois inopportunément, l’argument de l’extraversion réelle et pas toujours pertinente, mais en questionnant, toutefois, chacun des moments, chacun des concepts et chacune des fins visées par la rhétorique y étant attachée. Voilà pourquoi, il lui a semblé légitime, au regard de cette histoire et trajectoire si riches et diverses, de marquer son positionnement propre.

Ce choix est en effet, la conséquence logique, de sa trajectoire historique, ainsi que de ses convictions profondes. Cette trajectoire, est d’abord, le refus de tout déni d’identité propre. En effet, il ne saurait y avoir, du point de vue du CAFRAD, d’institution africaine et panafricaine, qui n’assume son histoire, son positionnement épistémologique et sa trajectoire axiologique.

Par ce moyen, en effet, le CAFRAD a voulu, non seulement, rester profondément ancré en Afrique, mais surtout rester fidèle à lui-même, c’est-à-dire, ouvert et flexible sur le monde, bien que toujours, enraciné en Afrique, sa cible prioritaire.

Pour être conforme avec cette vision, le CAFRAD a décidé, au cours de la décennie qui s’achève, de formuler l’essentielle de sa pensée, autour de ce qui est, désormais connu, comme son concept phare, à savoir : la Gouvernance Publique Responsable. Par ce concept, en effet, le CAFRAD a  voulu, rappeler, que le premier moment de Responsabilité, est d’abord et avant tout, la Prise de conscience de Soi. Cette prise de conscience préalable, constitue, le déterminant et le viatique prioritaire, avant  toutes les autres formes  d’interactions.

C’est pourquoi, nous pensons,  qu’en la matière, il ne peut y avoir de Gouvernance administrative, politique, économique, culturelle ou toute autre forme de gouvernance, sans une conscience prioritaire de soi, et donc, sans une dose substantielle de Responsabilité.

Cette prise de conscience première, ne doit, cependant pas, être comprise, comme le ferment erroné, des formes opportunistes et instrumentalisées d’exclusions et autres manipulations. Elle est, de notre point de vue, le moment par excellence, de toute attitude constitutive et constructive de responsabilité.

C’est pourquoi, après avoir placé la première conférence des ministres de notre institution sous le thème de  ‘’Gouvernance Publique Responsable  comme fondement de l’Etat de droit,’’ nous avons voulu, rappeler qu’au-delà de l’approche essentiellement juridique de la responsabilité, assise sur le préalable d’une action réprouvée et sanctionnée par une faute directe ou indirecte, c’est-à-dire, attachée ou détachée de l’intervention immédiate de son auteur, nous avons fait le choix, de nous inscrire, dans une  perspective qui, en l’occurrence, échappe au préalable d’une ‘’faute’’ au sens juridique, mais,  qui repose, bien au contraire, en priorité, sur le mouvement réfléchi de la conscience sur elle-même ou sur l’agent.

Or, dès lors que la conscience exerce un mouvement réfléchi sur elle-même, et qu’elle prend conscience d’elle-même, elle prend conscience que c’est elle qui agit et donc prend conscience de sa responsabilité autant que de celle d’autrui qui vit la même expérience. Ainsi s’opère, alors, la conscience d’autrui, de sa présence-au-monde et, par conséquent,  une forme d’interaction non plus uniquement réflexive et égocentrée, mais aussi, relative et ouverte à l’altérité.

De ces deux moments, apparaissent, ce faisant, ce que nous traduisons par les notions d’authenticité, de singularité, d’ipséité ou conscience de soi. C’est aussi ainsi, qu’interviennent les notions telles que la relativité,  la conscience d’autrui, l’altérité, la disposition à entrer en relation avec autrui, l’extraversion ou la projection vers un ailleurs connu, inconnu mais potentiellement connu ou connaissable. C’est aussi l’ouverture sur d’autres horizons ; la projection vers l’universalité en somme. Une universalité, dont la rencontre, peut donner lieu, à des accords fondés sur le partage des valeurs  du fait des transactions variées autour de celles-ci.

Cette démarche a nécessairement conduit, de manière inductive, à admettre, que la singularité du continent africain, dont le CAFRAD est l’expression, de  par sa trajectoire historique et épistémologique, voire, de par ses missions, ne pouvait que reconnaître l’existence d’autres espaces et donc d’autres modes  d’expression,  d’assomption et de revendication de leur rapport-au-monde, en dépit des accords ou rapprochements possibles entre eux.

C’est ce que nous avons traduit à travers l’organisation du second forum des ministres de la réforme à Tanger de 2016, sous le thème de la ‘’dimension culturelle de la Gouvernance Publique Responsable.’’

Par ce biais, nous indiquions, qu’il ne saurait y avoir, de responsabilité, qui soit affirmée et assumée, sans un ressort ou fondement éthique préalable. Celui-ci ne peut découler en priorité, que d’un accord formel ou tacite, volontaire ou induit, faisant office de socle fédérateur, d’un groupe, à partir d’un référentiel idéalisé, par la tradition, la révélation ou la raison.

Autrement dit, il ne saurait y avoir, de responsabilité, sans une éthique fondatrice ou  fondamentale, assise sur des valeurs légitimées, par la tradition, la révélation ou la raison. Etant donné la diversité des contextes, des traditions, des peuples et des rapports à la foi ou à une certaine idée de ‘’Bien’’, les actes de commandement ou d’autorité, devraient, en principe s’y ordonner.

C’est dire, en définitive, que la notion de Responsabilité en matière de gouvernance, notamment, ne peut avoir de sens, que dans un certain alignement à une idée de valeurs et donc à une certaine éthique de base, qui la structurerait et vers laquelle elle s’ordonnerait. Dès lors, il ne saurait y avoir de gouvernance bonne en soi, (objective) mais il n’y en aurait toujours que de gouvernance relative donc ‘’bonne pour soi’’.

Les dynamiques de gouvernance ne peuvent en définitive que revêtir des caractères éthiques déterminés et situés. Autrement dit, il ne saurait, en principe, y avoir, de dynamique de gouvernance vertueuse ‘’taille unique’’ ou ‘’interchangeable’’ d’un contexte à l’autre ou d’une époque à l’autre.

Cependant, il y aurait toujours et nécessairement des formes variées de Gouvernances vertueuses, en raison de la diversité des contextes, de la variété des déterminations des socles de valeurs, voire, de la diversité des formes d’alignement à des types particuliers et déterminés de références éthiques dans l’espace et dans le temps.

Cela ne signifie évidemment pas, qu’il faille laisser la porte ouverte à toutes les formes de pratiques, qui pourraient être en contradiction les unes avec les autres, et ainsi diluer l’idée de vertu et une forme de tension vers le partage ou l’harmonisation des valeurs dans un espace global que l’on veut, pourtant, plus intégré et plus interdépendant ; loin s’en faut !

Il s’agit,  pour le CAFRAD, de dire, que la diversité des cultures, des traditions, des environnements ou conditionnements, ne peuvent et ne sauraient légitimement, ni rigoureusement, être évacués des débats, au seul motif d’une rationalité universelle péremptoirement définie et arrêtée de façon univoque et autocentrée.

C’est pourquoi, le CAFRAD préfère au qualificatif ‘’universel’’, celui de ‘’partagé’’ qui rend mieux compte, de la diversité du monde, mais surtout et davantage, de la possibilité laissée ouverte, aux compromis positifs, issus des transactions entre divers espaces, cultures et traditions.

Au CAFRAD, nous pensons donc, que le propre de la gouvernance est substantiellement et fondamentalement complexe ; d’une complexité dont l’analyse doit, au préalable, nécessairement tenir compte. Aussi pensons-nous, que l’intelligibilité de ce concept, ne peut se faire en dehors de cette perspective, si l’on veut construire, une gouvernance globale intégrée et participative.

Voilà pourquoi, nous pensons, que la dimension culturelle de la Gouvernance Publique Responsable, constitue une étape fondamentale, de cette ambition, et les consensus ultérieurs, la conséquence des transactions, pouvant donner lieu, à une forme d’éthique universellement partagée. C’est en cela, qu’est apparue, la troisième conférence des ministres fondée sur la lutte contre la corruption, comme premier moment, d’une opérationnalisation de la Gouvernance Publique Responsable à Rabat en 2017.

En choisissant cette thématique, nous avons voulu, mettre en évidence, l’idée que la lutte contre la corruption, dépassait, justement, les déterminismes, issus des conditionnements spécifiques, mais qu’il pouvait y exister, au-delà des perspectives antérieurement déclinées, des passerelles transculturelles et trans-contextuelles.

C’était, en effet, la démonstration, que certaines valeurs pourraient être partagées et notamment la recherche  d’une définition intégrée de l’idée de justice, lorsqu’elle s’ordonnait vers la tension nécessaire et indispensable, vers une certaine idée partagée de ‘’Bien’’ et donc une définition partagée de la notion de Responsabilité.

Ici en effet, le CAFRAD a voulu mettre en lumière, l’idée que la Responsabilité, en dépit de ses versants réflexifs et relatifs, entraîne, inéluctablement, des conséquences intrinsèques au plan qualitatif, en matière de gouvernance. En réalité,  pour le CAFRAD et à travers la perspective choisie, l’agent ou l’autorité administrative, en l’occurrence, est toujours et nécessairement, engagé, parce que, partie prenante, au début et à la fin de l’activité de Gouvernance.

Il est à l’initiative, mais il est lui-même bénéficiaire et destinataire des actes ainsi que des conséquences de ses actes. Il est tout aussi, comptable des dévoiements des principes, dont il peut être l’auteur et dont il doit, en raison de la confiance préalablement placée en lui, du fait d’une élection ou d’une nomination, répondre. Il est et doit être, par le fait de cette confiance préalable, le garant de l’exécution harmonieuse ou vertueuse de la mission qui lui aura été confiée. C’est de notre point de vue le sens et l’expression même de l’idée de reddition des comptes indispensable en l’occurrence pour assumer une Gouvernance Responsable.

Cela ne pourrait, au demeurant, être fait de façon rigoureuse, que lorsque l’on serait dans un monde idéalement construit, sans possibilité de manipulation, ni du point de vue de la conception, encore moins, du point de vue de l’exécution par ces agents, de cette vision initiale.

Cela est d’autant plus vrai, que l’histoire de la mise en place des administrations dans les pays d’Afrique, s’est construite, d’une manière générale, dans un projet, non pas toujours, de service aux peuples,  ni dans le respect de l’autorité administrative et de ces jeunes Etats d’alors. Elle ne s’est donc pas nécessairement construite sur un postulat d’éthique fondamentale. Elle s’est, en général et davantage, construite, dans un contexte d’extraversion d’autorité et dans un souci prioritaire, de subordination des peuples et des populations, aux fins de garantir, un certain ordre hégémonique global, dont les autorités administratives endogènes d’alors, ne devaient,  le plus souvent, qu’en garantir et assurer la pérennité.

C’est ainsi, qu’à l’issue des discussions et des réflexions menées, au plus haut niveau, est apparue dans les débats la proposition d’une refonte profonde des paradigmes de la gouvernance publique en Afrique, et avec elle, la conférence des Ministres de la réforme en marge de la Journée Internationale de la Fonction Publique autour du thème de la ‘’transformation de la Gouvernance dans la poursuite et la réalisation des Objectifs de Développement Durable’’.

Cette conférence tenue à Marrakech en juin 2018, venait comme boucler un cycle, puis, mettre fin à l’idée de réformes, assises sur des bases initialement disputées et discutées. Les Organisations Internationales et la plus importante d’entre elles, l’O.N.U, admettait, de façon indirecte, qu’il était temps, de repenser la Gouvernance et de l’inscrire dans une ère nouvelle ; celle de la reconstruction de la Gouvernance, sur des bases moins controversées.

A cette occasion, le CAFRAD a fait le choix, puisque l’opportunité lui en était donnée, d’exposer sa vision. Une vision axée sur une redéfinition  de l’idée de Gouvernance, en insistant entre autre, sur la nécessité de sortir des logiques autocentrées et univoques. Il proposa alors de  s’ouvrir sur une perspective ou  sur des approches polycentrées, invitant au passage, l’ensemble des institutions internationales, engagées dans cette voie, à renforcer les dynamiques d’échange, pour donner corps, à une gouvernance plus intégrée, à l’échelle globale.  Une approche dans laquelle, le partage des valeurs et des principes, serait plus pertinent. C’est ce qui s’est traduit, dans la suite des rencontres organisées à cette occasion, aussi bien dans le cadre des formations et des séminaires variés, qui s’en sont suivis.

Aujourd’hui, plus que jamais, l’identité du CAFRAD est établie, de même que son positionnement épistémologique et axiologique reconnu. La trame de son action est à jamais visible et lisible à tous les niveaux de l’activité de réflexion sur la gouvernance et la transformation de l’activité administrative en Afrique et dans le monde.

Certes, son positionnement ne fait pas encore l’unanimité et peut-être d’ailleurs ne le fera-t-il jamais. Mais telle n’est pas son ambition encore moins sa préoccupation.  Son ambition est de permettre, une grille de lecture alternative, loin des schémas univoques, dont nous nous sommes si souvent accommodés, sachant pertinemment, qu’ils arriveraient difficilement, à apporter de véritables solutions aux problèmes que se posent les pays africains. Ces pays d’Afrique, dont les structures et les cultures, s’accommodent souvent, si difficilement, des recettes qui leurs sont proposées, induisant parfois, des jugements faciles aux fondements sommaires.

Mais, c’est une aventure heureuse, dont nous nous réjouissons, pour l’essentiel, des avancées, en termes de qualité des débats, de qualité des intervenants d’Afrique et du monde, de la rigueur des  conclusions et propositions d’approches, toujours plus innovantes, ainsi que de la détermination des équipes. C’est le lieu ici de les remercier, chacun de façon solennelle, pour leur constante fidélité.

Pour nous, c’est le commencement d’un nouveau grand voyage, vers la contribution à la construction d’une véritable Gouvernance Publique Responsable, qui traduit de façon significative, la constante  tension de l’Afrique et de ses institutions, vers l’assomption véritable de son histoire, de son authenticité et de sa permanente ouverture sur l’universalité de ses valeurs, signes de sa pleine et entière solidarité et générosité à l’égard du monde et jalouse de sa si belle singularité.